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Cifuentes Translations
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L’importance de la traduction dans la préservation des langues minoritaires.

 

Soizic Cifuentes

Nelson Mandela disait que « parler à quelqu’un dans une langue qu’il comprend, c’est toucher son cerveau, mais lui parler dans sa langue maternelle, c’est le toucher au cœur ». (“If you talk to a man in a language he understands, that goes to his head. If you talk to him in his language, that goes to his heart”)

indian

Il y a quelques jours, nous avons eu le grand privilège d’être invités au sein d’une communauté Emberá Chami (gens des montagnes) à l’occasion de la première d’un documentaire sur leurs coutumes ancestrales. Située dans les collines d’Antioquia, en Colombie, à une petite demi-heure en voiture du village, cette communauté comprend son gouvernement autonome, son école, son centre médical, un centre social et une petite église catholique datant d’environ 150 ans. Et puis surtout, elle a conservé sa langue qui continue de résister tant bien que mal à la pression de l’espagnol, la langue dominante. Ce documentaire est le fruit du travail de plusieurs jeunes de la communauté et vise à les aider à rebâtir leurs identités à partir de la mémoire occultée et de la connaissance de leurs ancêtres. Dans cette perspective, il a été réalisé dans la langue Emberá et est sous-titré en espagnol. Bien que n’étant pas traducteurs professionnels, nous pouvons toutefois croire en l’authenticité de leur traduction en espagnol, car celle-ci est réalisée à partir du mot et du concept dans la langue native, porteuse de crédibilité et d’identité Emberá et non pas à partir des notions de la langue de pouvoir qui ont donné jusqu’à présent une réalité tout à fait différente de leur culture.

Notre hôte est un jeune Emberá très accueillant, ouvert et chaleureux. Il est très fier d’affirmer sa culture et la langue de ses ancêtres qu’il parle parfaitement. Il accompagne le chant de sa grand-mère chamane à la flute dans le documentaire. Les paroles retracent en Emberá l’anniversaire d’une petite fille d’un an et le rite de passage d’une adolescente à l’âge adulte. Cette étape initiatique ressemble un peu à un baptême dans la rivière. Le chant et la flute accompagnent la démarche lente et solennelle d’une jeune fille qui avance dans l’eau et s’enfonce jusqu’à mi-cuisse pendant que de jeunes garçons, torses nus, l’éclaboussent joyeusement. L’eau purifie, elle est source de vie et de fécondité. L’eau, c’est le symbole de l’écoulement et de l’énergie féminine. Elle ressort de l’eau, habitée de ses pouvoirs féminins.

Les rituels de la guérisseuse et chanteuse lui viennent d’une longue ligne de chamanesses (Jaibaná). Porteuse de la parole vive, elle est la garante de l’histoire de son peuple, de son patrimoine culturel, de ses valeurs morales et de ses coutumes. Ses chansons parlent du peuple Chami disséminé dans la région d’Antioquia et de Caldas après l’échange de leurs terres contre du sel. Elle nous raconte que pendant la colonisation espagnole, son peuple était devenu nomade sans avoir vraiment compris le marché de dupes auquel ils avaient participé. La conception de propriété foncière ou de valeur économique en découlant n’existait pas. Ils n’avaient pas seulement perdu leur territoire et leurs ressources dans ce marché, mais aussi leurs droits à percevoir le monde, la nature par rapport à leur vision, leur culture, leur spiritualité, leur mode de pensée et de créativité. La grand-mère nous explique que le retour aux zones d’habitation traditionnelle était lié par des conditions. Par exemple, la construction de l’Église catholique, les interdictions de maquillage et du port de tenues traditionnelles et la pratique de leur religion. Par ailleurs, ils avaient dû remplacer leurs prénoms ethniques par des prénoms espagnols. La plupart portent deux prénoms, leur prénom Emberá et leur prénom espagnol. Leur communauté porte également un nom espagnol. Mais le nom d’origine, c’est Karmata Rua. Aujourd’hui, l’État colombien maintient ses titres de propriété. La communauté indigène n’a que droit d’usufruit sur les ressources naturelles de leurs terres traditionnelles et doit suivre des règles relatives à l’usage et à la jouissance de ses terres en vertu des traités conclus ; ceux-ci découlent de négociations concernant les revendications territoriales et le droit des peuples autochtones.

Les membres de cette petite communauté continuent de communiquer entre eux dans une langue qui ne veut pas céder à l’assaut de la langue dominante. Leur vitalité et leur force tranquille sont surprenantes. La langue Emberá est une parmi 300 langues aborigènes qui existaient à l’arrivée des Espagnols. Certaines ont disparu. Ils ne sont pas sans savoir que lorsqu’une langue disparait, c’est toute une culture qui se dissipe. C’est pourquoi ils ont choisi la parole, l’écrit et la traduction pour lutter contre l’extinction linguistique qui les menace.

L’histoire du mot, c’est l’histoire de la culture. La parole s’inscrit dans l’histoire et les moments de développement langagier reflètent le rythme de l’histoire. Cette communauté s’est donnée pour mission de transmettre par écrit cette langue de tradition orale et de récupérer sa vérité. Ils ont décidé que pour sauver leur voix millénaire, il fallait passer de l’oral à l’écrit et construire en tout premier lieu un alphabet à partir des phonèmes, de la prononciation de leur langue par leurs ancêtres pour que leurs enfants ne l’oublient jamais, pour qu’ils puissent la faire vivre, pour qu’ils la traduisent et pour qu’ils la protègent. Car la langue disparait lorsque les enfants l’abandonnent pour adopter celle qui leur permet d’accéder à des études supérieures, à la technologie, à des emplois. Aujourd’hui, ce n’est plus du sel que les jeunes membres de la communauté convoitent et le prix de l’accès à la modernité est énorme. Ensemble, ils ont donc établi un manuel d’apprentissage et d’écriture Emberá-chami pour déterminer leur avenir, revaloriser leurs coutumes et leur passé à travers une production écrite, traduite et audiovisuelle fondée sur les témoignages des anciens.

Cette étape encourageante et importante nous concerne tous, car c’est aussi le patrimoine culturel de notre humanité.

 

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